L'art pourrait-il devenir un rempart contre la question morale et le féminisme ? L'art pourrait-il faire une échappée contre monde réel ?

mardi 17 janvier 2017

Numéro 21. Inna Modja, fille de Bamako ~Une vie d'artiste Aurélie Charon


Inna Modja a grandi au Mali, sa mère la surnomme "Modja", "la mauvaise fille", parce que c'est la plus têtue de la famille. A 15 ans, elle ose aller voir le chanteur Salif Keita pour lui faire entendre sa voix. Elle milite contre l'excision. Avec l'album Motel Bamako, elle chante en bambara.

Il est 23h, les mauvaises filles posent les questions qui fâchent. Inna c’est l’enfant terrible, celle qui veut tout savoir, tout comprendre, la numéro 6 d’une famille de 7. Sa mère l’appelle la modja, la mauvaise fille parce que c’est la plus casse tête, la plus têtue. Elle a quelque chose que les autres n’ont pas : elle est sans peur. Elle ose dire, espérer et même, réclamer ce qu’on lui doit. Elle grandi au Ghana puis au Mali. A 15 ans, elle ose aller faire écouter sa voix à un des chanteurs les plus connus du pays - Salif Keita la fera entrer dans son Rail Band à Bamako. Une fille sans peur, ça pose des problèmes, ça remet en question, ça demande : est ce qu’enfin on va nous aimer ? Est ce qu’on va nous demander pardon aussi, pour le mal qu’on nous a fait ? Inna Modja est ceinture noire de taekwondo, elle a compris qu’il fallait pouvoir se défendre seule. Quand personne ne demande pardon, il faut demander réparation. Quand elle se rend compte qu’elle n’est pas la seule à avoir été excisée sans qu’on ne lui ait jamais demandé ce qu’elle en pensait, elle ose le dire. Mais sans crier, elle veut d’abord comprendre. Quand on te coupe dans ta chair, on te coupe de quoi ? Inna Modja adolescente ne se sent pas encore femme, se sent perdue, veut regagner ce qu’on lui a volé. Plus tard, elle trouve la réparation. Elle renaît comme un phœnix et c’est le vœu qu’elle fait maintenant pour son pays. C’est ce qu’elle chante dans le morceau Sambé – une prière à la jeunesse malienne, qu’elle aime superposer dans sa tête avec les images du photographe Malick Sidibé, cette jeunesse en pantalon patte d’eph, pull à fleurs, avec moto et radio, prête à tout. Elle pense : on ne peut pas nous voler notre avenir. On ne peut rien nous voler de ce qu’on est, dit Inna Modja. Elle a chanté en anglais, elle a chanté la frivolité mais la guerre sans fin au Mali lui a fait dire qu’on ne pouvait pas parler de tout et de rien. Elle retrouve la langue bambara. Elle chante avec des mots que sa grand-mère, sa sœur, ses voisins peuvent comprendre. Dans le clip Tambouctou il y a sa grand-mère de 98 ans et sa nièce de 8 ans. Elle chante la fierté et la poésie du Mali et elle semble dire : vous voyez, une mauvaise fille peut devenir une femme avec de la sagesse

Inna Modja de son vrai nom Inna Bocoum est une chanteuse et actrice malienne née le 19 mai 1984 à Bamako. Doublement nommée aux Victoires de la Musique en tant que révélation du public et pour le clip de l’année, elle revient dans le pays de son enfance pour son troisième album, "Motel Bamako", sorti en 2015. Dans cet opus, Inna se raconte, se libère, comme une urgence qui brûle au fond d’elle : ses racines africaines enflamment son art. Auteur- compositeur, Inna a appris « avec ses ainés » comme le "Rail Band", l’orchestre du buffet de la gare de Bamako. Elle baptise d’ailleurs cet opus « Motel Bamako » en leur honneur. Ce qui se passe au Mali imprègne sa musique comme sur le morceau « Tombouctou» où elle dénonce la guerre qui ébranle son pays.